Vers les Marquises
Après les quelques jours passés en Colombie pour une escale technique, il est temps pour nous de continuer l’aventure.
Pas de télé le soir, seulement le grand spectacle de la nature (Photo prise après le passage de l'équateur) (cliquer pour agrandir) |
Nous aurions bien aimé visiter Medellin ou Bogota, mais tous les sites touristiques sont fermés et il est difficile de circuler dans l'arrière pays. Alors hardi petit, c’est avec le sourire et du baume au cœur que nous levons l’ancre, les cales pleines de victuailles achetées à Buenaventura.
Nous avons trouvé de tout en Colombie, y compris des yaourts, des céréales, des jambons, de bonnes conserves, des fruits et légumes. Il est très tôt (4h) car nous devons sortir du port et du chenal de Buenaventura avec la marée descendante afin de profiter du courant jusqu'à l'embouchure.
Le départ se passe bien. Unavoq est seul dans ce long chenal de 25 miles nautiques, aucun cargo à l’horizon. Notre seule rencontre sera quelques dauphins qui viennent jouer devant l'étrave du bateau pour nous dire au revoir en sortant de la baie.
Un vrai baume au coeur que d'être accompagné par des dauphins |
Dès la fin du chenal franchi, nous partons en direction du sud en essayant de longer les côtes vers l’Équateur (le pays). Le vent est de la partie avec environ 20 nœuds et nous pouvons très vite mettre les voiles. Il fait gris mais nous n’avons pas de pluie ni d’orage. La journée se passe au rythme du vent et des vagues qui sont hélas toujours présentes. Mais très vite on se rend compte que nous avons une dérive très importante qu’il nous faut corriger : le fort courant est contre nous. Dans la nuit nous nous apercevons que nous ne pourront pas suivre la côte : le courant nous déporte trop vers la terre. Ce sera le commencement de nos 15 jours de galère qui vont nous obliger à tirer des bords régulièrement.
Avec un vent entre 20 et 25 nœuds constant au près (c'est à dire venant du devant du bateau) et un courant contraire de 3 voir 4 nœuds, des vagues de 3 à 4 mètres, nous n’avançons pas ou peu. Même avec le moteur on fait parfois moins de 2 nœuds de vitesse. C’est dur car nous sommes obligés de faire souvent une journée dans un sens, puis à la tombée de la nuit on tire un bord dans l’autre sens. Moralité, sur 90 miles parcourus certains jours seulement 35 seront dans la bonne direction. Pas top mais on garde le moral car l'on sait que la route sera longue. Nous ne réalisons pas des bords plus courts car la mer est très agitée et nous préférons garder le plus longtemps possible le même réglage des voiles. C'est toujours stressant de modifier la voilure par gros temps, tant pour nous que pour le matériel.
A ce rythme nous apercevons l’ile de Malpelo seulement le cinquième jour ; c'est là où sont nos amis du catamaran Silky. Notre route choisie est le passage par le Nord des Iles Galapagos. Les Pilot Charts (statistiques de vents par région et par mois) indiquent que c'est le chemin le plus venté. Les guides de grandes croisières confirment que c'est la route classique vers les Marquises. Cette route est utilisable toute l'année, mais le vent est plus particulièrement stable et fort à partir de juin jusqu'en novembre. Beaucoup de voiliers traversent plus tôt dans l'année pour profiter plus longtemps de la Polynésie avant l'arrivée de la période cyclonique.
Pour nous la question ne se pose pas, car nous resterons aux Marquises pendant la période cyclonique : c'est un endroit sûr, uniquement deux cyclones y sont venus en 100 ans de météo (les deux en 1983).
En haut les Marquises, plutôt une zone de développement de cyclones qu'une zone à risque (cliquez pour agrandir) |
Vers l'ile de Malpelo (en face de la Colombie) nous avons un passager clandestin qui vient se réfugier sur l’un des panneaux solaires. C’est un fou à pieds rouges tout blanc, très reconnaissable à son bec bleu et ses pieds rouges. Il passera la nuit sur le bateau et partira à la levée du jour. On était content d’avoir de la compagnie cette nuit là, un peu moins content du résultat. Il a fallu nettoyer le panneau solaire et le pont du bateau tout recouvert de déjections. Le locataire n’était pas au top de sa forme gastrique !!!
Deux jours plus tard, nous avons encore eu de la visite. Mais cette fois ci ce sont 11 fous à pieds rouges qui sont venus s’installer sur la rambarde du pont avant. C’était très drôle de les voir se balancer au rythme des vagues fortes et du vent. Accrochés avec leurs pattes palmées et griffues, cela donnait une chorégraphie digne d’un grand maitre : spectacle du soir assuré, d'autant que certains se disputent les meilleures places :).
A chaque changement de bord, ils s’envolaient mais revenaient dès la fin de la manœuvre en nous montrant toute leur habilité à venir se poser sur le bateau en mouvement. Ce ballet a duré jusqu’après les iles des Galapagos, soit plus de 15 jours quand même.
Un specimen bien fatigué se pose maladroitement sur le tangon Bec et masque bleu, très reconnaissable (Sula sula) |
La bande de piailleurs |
Noter le temps bien gris et le ciel bien bas |
La nuit, pendant nos quarts, nous ne croisons que très peu de bateaux. Sur l’ensemble de la traversée on en croisera seulement 5. Il faut dire que le Pacifique est bien grand …
Nos journées et nos nuits sont rythmées avec le vent et les vagues. Nous n‘avons pas beau temps, mais pas de fortes pluies ni d’orage, juste du temps gris. On s’occupe entre les changements de bord et les accélérations du vent (réduction du génois principalement).
Les journées passent vite car il faut aussi s’occuper des repas, de la lessive, de la surveillance des instruments, du remplissage des réservoirs avec les bidons, des niveaux du moteur, de la météo...
Ce temps gris nous oblige à mettre de temps en temps le générateur pour recharger les batteries. Cela me permet de passer l’aspirateur durant la traversée (le générateur fournit alors le 220V dont l'aspirateur à besoin). Le pilote consomme beaucoup d’énergie (autant que le réfrigérateur, soit 70 ampères jour) et nous surveillons régulièrement le niveau des batteries pour éviter qu’elles ne se déchargent trop.
Alain suit notre avancée tous les matins vers 8 heures. Il fait un relevé de notre position en m’indiquant la distance parcourue depuis la Colombie, la distances effectuée dans la journée et enfin la distance restant à parcourir.
Tentative de mesure au sextant Le plus dur ce ne sont pas les calculs mais bien la visée |
Méthode efficace de récupération de la météo |
Tous les trois jours, il récupère les fichiers grib de la météo grâce à notre téléphone satellite Iridium. C’est aussi ce téléphone qui nous permet de recevoir des informations par mail ou SMS des amis et de Jean-Pierre, le frère d’Alain, qui nous fait une veille météo et nous prévient de toute aggravation. Quand nous rencontrons un autre bateau, nous essayons toujours de le contacter afin notamment de lui demander sa météo. Souvent les gros cargos sont contents d'échanger des informations et intéressés par notre aventure : d'où vous venez, où allez vous, votre nationalité... Les quarts de nuit sont longs, même pour eux, et cela fait parfois des échanges surréalistes.
Heureusement tout est resté acceptable pendant toute la navigation : nous avons eu en moyenne 18 nds de vent, avec des rafales régulières à 25 nds et maximales à 38 nds. Pour notre Amphitrite, c'est pile poil le vent qu'il nous faut afin de bien avancer. Des voiliers copains qui avaient choisi la route Sud des Galapagos se sont retrouvés sans vent pendant 15 jours, roulés par les vagues sans aucun appui. Ce ne fut pas notre cas.
A ce rythme nous avons continué de progresser jusqu’aux Galapagos. Heureusement, après les Galapagos, progressivement nous sentons que le courant commence à diminuer puis à s’inverser. Ce sera une navigation plus efficace malgré un vent toujours au près et donc une forte dérive. En effet certains jours, on fera jusqu'à 145 miles par 24 heures avec des pointes de 7 à 8 nœuds sur plusieurs heures. Le seul hic sera toujours ces vagues croisées de 3 à 4 mètres qui nous ballotent de tous côtés.
Comme nous avançons avec une navigation plus efficace, le voyage devient plus agréable : on a la sensation que nos efforts sont récompensés. Puis le vent commence à tourner vers le Sud, puis Sud-Est. Après s’être assuré de ce changement, il est temps de mettre le tangon sur le génois (le tangon est une très grosse barre qui éloigne le génois du bateau pour le vent arrière).
Tangon installé avec tout le génois sorti Noter les brides qui empêchent le tangon de bouger car il est installé entre les haubans |
Le même tangon avec 2 ris dans le génois (génois enroulé donc plus petit) |
Malgré les vagues, nous installons sans difficulté le tangon (on a de l'expérience après 2 ans de navigation), ce qui nous permet de gagner en vitesse et surtout de maintenir un génois sorti sans l’entendre claquer avec le vent. Sinon lors des descentes des grosses vagues le génois se dévente et claque, ce qui l'use et use nos nerfs aussi. En cas d’accélération du vent, le génois se rentre tout aussi facilement sans toucher au tangon. Avec ce dispositif et le vent toujours arrière on arrivera à faire notre record de vitesse à 12,4 nœuds. C’est un record absolu pour notre bel Amphitrite.
Les jours et les nuits de quart passants, nous arrivons enfin au passage de l’Équateur. Cela se fera à 5 heures du matin heure locale, le 28 août 2020. C’est un grand moment pour moi car je n’ai jamais été dans l’hémisphère Sud. Ce moment est magique, l’on voit tous les cadrans indicateur de la latitude afficher le 00° 00'. 000 S. Furtif, cela ne dure qu'une faction de seconde. Une fois passé l'équateur, on marche la tête à l'envers non ? :)))
Descente vers l'équateur, cap 234° 5,6 nds de vitesse pour 17,4 nds de vent apparent (plus de 20 nds de vent réel) |
Tous les éléments sont avec nous car ce sera aussi une superbe journée ensoleillée. C’est l’occasion d’un bon repas agrémenté d’une bonne bouteille de Champagne de notre réserve.
A la vôtre, les amis qui nous suivez |
Qui dit soleil dit énergie solaire disponible On la consomme en musique |
Après l’équateur, on incurve notre trajectoire vers l'Ouest, on commence à sentir que l’on se rapproche de l’arrivée. Il nous reste alors encore 2000 miles à parcourir, soit une traversée de l'Atlantique... On suit avec intérêt tous les matins notre progression. Le temps se stabilise au grand beau, on peut pécher malgré les vagues croisées fortes.
Tout se passe bien à bord, nous n’avons pas d’ennui avec les instruments, ni le moteur. On épuise rapidement toutes les séries et les films emmenés, je lis quasiment un livre par jour, merci aux liseuses électroniques. Avec le beau temps, Alain se remet à la pêche.
Beau thon rayé, appelé aussi Thon Listao ou Bonite à ventre rayé (Katsuwonus pelamis) |
On voit bien les rayures sur le flanc |
On en fera d'énormes darnes à la poêle et aussi 3 grands bocaux de conserve |
Notre seule crainte est le pilote qu’Alain ménage de peur d’avoir à subir la même panne que nous avions eu lors d’un voyage précèdent. Il vérifiera et démontera la vis sans fin du pilote à plusieurs reprises. Ce sera pour moi quelques heures à tenir la barre du bateau dans une mer formée... mais par beau temps et de jour, tout est plus facile.
Patoune en tenue de sport pour tenir la barre |
Spectacle du soir : des sauts périlleux de dauphins délurés :) |
Quelques jours avant notre arrivée, nous aurons la frayeur de croiser de nuit un bateau de pêche taiwannais dont l’équipage dormait (il était 2 heures du matin). Nous étions sur des routes à collision. Nous avons eu beaucoup de mal à les réveiller en insistant sur la radio VHF. L'astuce pour les gros bateaux : envoyer un message sur leur MMSI, car cela déclenche une alarme sur leur passerelle et laisse des traces en cas de pépin. Après avoir réussi à les contacter tout s’est bien terminé. Ils ont arrêté leur bateau pour nous laisser passer, puis ils ont repris leur route et leur nuit.
A Nuku Hiva, nous avons rencontré un voilier qui avait percuté de nuit un gros bateau pêcheur. Il a cassé son davier (système de fixation & remonté d'ancre) et le choc n'a même pas réveillé l'équipage du pêcheur. Incroyable.
Préparation du drapeau peint à la main sur tissus A gauche le drapeau de la Polynésie, à droite celui de la quarantaine en jaune |
Enfin, après 38 jours de navigation, nous sommes arrivés dans la baie de Taiohae de l’ile de Nuku Hiva aux Marquises. Contents d’être arrivés sains et saufs avec un bateau en pleine forme. On a du mal à se rendre compte que l'on vient de traverser le Pacifique. Il nous faudra plusieurs jours pour réaliser que nous avons parcouru 4 488 miles nautiques, soit 8 312 km en 38 jours de haute mer en autonomie totale.
Arrivée à l'ile de Nuku Hiva |
Chapeau pour cette traversée magistrale du Pacifique !
RépondreSupprimerIci, en France, nous errons de confinement en couvre-feu.
Bon vent les tour-du-mondistes, et amitiés aux dauphins
Christian