mercredi 20 février 2019

Transatlantique

Extrait de notre carte Google
En rouge la route suivie

La grande route

Au départ de Mindelo, le 5 janvier 2019, nous faisons la queue à la station service. Le pompiste doit revenir à 15h, pause déjeuner oblige. Mais il est en retard, pas pressé en fait. Au cap vert personne n'est pressé (le slogan du Cap vert est littéralement "No Stress"). Aussi nous faisons connaissance avec 2 autres voiliers en partance pour les Antilles comme nous. 

Ce sont deux petits voiliers, avec quatre à cinq équipiers. Ils vont vivre tassés et ballotés dans 20 m2 pendant 3-4 semaines. De gros bidons d'essence et d'eau occupent le pont et les passavants (zone de circulation de part et d'autre du roof, elle permet l'accès au pont avant depuis le cockpit). C'est à ce moment que l'on réalise notre chance (ou nos bons choix) : nous avons 700 litres d'eau dans les réservoirs, et 450 litres de gasoil. Aussi nous n'avons pas besoin d'encombrer le pont avec des bidons ni de réaliser des transvasements vers les réservoirs : c'est toujours délicat en pleine mer, par forte houle...

Notre jeune équipier Bartosz, que nous avons enrôlé à Las Palmas, occupe la cabine avant, et Patricia et moi même nous occupons la cabine arrière, à l'opposé du bateau. Nous ne nous marcherons donc pas dessus. 

D'ailleurs Bartosz est discret, poli et bien éduqué. Il peut paraitre étrange d'écrire cela, pensez-vous.  La très grande majorité de nos amis & connaissances qui a embarqué des équipiers ou des skippers nous a raconté leurs histoires incroyables. Je ne parle pas de "radio ponton", je parle bien d'expériences vécues. Equipier sale (qui ne se lave pas, sent mauvais, salit les WC, tache les draps ou laisse les tuyaux bouchés, mange partout...), grognon pour ne pas dire râleur, irrespectueux, à l'occasion casseur de matériel et fainéant, j'en passe et des meilleurs. Oui, nous avons eu de la chance (ou du nez), en tout cas le contact s'est fait tout de suite et nous avons été ravis de faire la connaissance de Bartosz : il faut le dire et l'écrire.

Extrait de notre contrat type
Petite aparté sur les équipiers : nous avions préparé un contrat type, avec toutes les références nécessaires au bon déroulement du voyage. Cela permet de poser les sujets, d'échanger sur des points qui peuvent devenir litigieux par la suite. Vous trouverez notre exemplaire vierge de ce contrat en suivant le lien : Contrat Type .
(Si vous avez des améliorations à y apporter, n'hésitez pas à nous en faire part) 

Au départ de France, nous n'avions pas prévu de partager la traversée avec une tierce personne. C'est à Las Palmas que nous avons changé d'avis, en discutant avec d'autres équipages. Certes, les mauvaises expériences de chacun auraient pu nous décourager. Mais nous avons pris conscience qu'à deux, Patricia et moi, les quarts de nuit sont fatigants, surtout sur de longues périodes. 

De plus, nous n'avions pas utilisé le gennaker ni le spinaker faute de sécurité : tester en conditions réelles ces voiles nous avait paru trop aléatoire. Nous avons toutes les commandes directement dans le cockpit, et nous n'allions donc jamais faire le singe à l'avant du bateau.

Une troisième personne à bord était un choix interessant si l'on voulait tester toutes les configurations de voile du Ketch : nous avons 2 mats, donc pas mal de possibilités de voilure. A l'avant nous avons un génois lourd sur enrouleur, un étais largable pour le foc ou la trinquette, deux drisses supplémentaires (une sur tribord et une sur bâbord) pour le gennaker asymétrique ou le spinaker asymétrique. Au milieu, sur le grand mat, nous avons la grand voile sur enrouleur. Enfin à l'arrière nous avons la voile lattée de l'artimon.

Retour d'expérience : 19 jours de traversée, c'est long. La première semaine on quitte le Cap Vert et ce n'est que la seconde semaine où l'on attrape vraiment les alizés. Du coup, l'inconstance du vent de la première semaine ne favorise pas la mise en place d'une routine. On se dit que cela va être long, le temps paraît élastique du fait que l'on subit la météo. On descend vers le 14 ème parallèle lentement, et finalement on s'installe entre le 14ème et le 15 ème parallèle. Nous avons eu très beau temps durant toute la traversée, c'est à dire grand soleil et mer assez calme. Il a plu 2-3 fois, et encore cela n'a pas duré plus de 1/4 heure.

Des amis partis le même jour que nous feront une route plus au sud, entre le 12 ème et 13 ème parallèle. Leur traversée durera 19 jours comme nous (nous nous retrouverons à l'arrivée quasi en même temps). Ils auront plus de vent, mais aussi plus de Sargasses, une houle plus forte et pas très confortable. Finalement les routes se valent, si ce n'est en terme de confort.

On utilisera l'artimon tout le temps
Il nous sera difficile tout au long du voyage de faire route au 270 (faire route plein Ouest). Notre configuration de voile ne nous autorise pas le plein vent arrière, et le vent n'est pas assez Est pour utiliser le gennaker. Le Gennaker fonctionne bien pour un vent arrivant entre 80° et 150° (on prend l'avant du bateau comme référence 0°). 
L'artimon nous protège en cas de survente
Or le vent vient du Nord-Est, et une grosse houle de Nord, Nord-Est nous gêne. 
Nous choisissons le confort, car outre le fait que certaines activités sont difficiles par forte houle, (la cuisine, la pêche, dormir par exemple) c'est aussi potentiellement dangereux de se faire secouer (risque d'accident, blessures, c'est du vécu).

La première semaine on alterne donc le génois et le gennaker selon la houle et la force du vent. Le gennaker est une voile fine, elle supporte mal plus de 20-25 noeuds de vent, aussi nous la protégeons avec l'artimon en cas de survente : il suffit alors d'abattre (prendre le vent plus en arrière de nous ) et l'artimon vient masquer le vent du gennaker. Ce dernier perd alors de la puissance.



Manoeuvre de pont pour monter le gennaker
Bartosz à la manoeuvre de drisse 
et Alain à la manoeuvre de la chaussette
Avec Bartosz, nous allons donc deux fois par jour (matin et soir) à l'avant du bateau pour monter soit le gennaker soit le spinaker.

Elles ont toutes les deux une "chaussette" (sorte de gaine coulissante) qui facilite l'envoi de la voile.
Monté de la chaussette

On prépare d'abord la drisse, puis l'on monte la voile dans sa chaussette. Une fois la drisse bien étarquée (serrée), on remonte la chaussette et cela libère la voile. Magique. 

Patricia peut étarquer l'écoute depuis le cockpit quand la chaussette remonte ce qui permet à la voile de se gonfler directement et donc de bien se tenir. Le risque est que la voile se vrille autour du génois si elle n'est pas tenue.
Gennaker monté
On voit le cône de la chaussette repliée en haut de la voile

Tous les soirs on rentre ces grandes voiles afin de sécuriser la nuit. On réinstalle donc le génois monté sur enrouleur avant la tombé de la nuit. De ce fait, si le vent forcit, on peut réduire facilement depuis le cockpit sans avoir à réaliser des manoeuvres acrobatiques à l'avant et nuitamment ...

On rencontre cependant un souci du fait de la houle, mais aussi du tangon. Pour utiliser le génois par grosse houle, il est attaché avec un grand "bâton" nommé tangon. Celui-ci écarte la voile et permet de la tenir même au creux de la vague. Dans notre cas, les bas-haubans empêchent de positionner le tangon perpendiculairement à l'axe du bateau. On ne peut donc dérouler qu'au 2/3 du génois tangonné, on avance de ce fait moins vite que prévu.

Il faudra une rencontre la seconde semaine, pour envisager une autre configuration en navigation. Nous n'avons rencontré que 3 voiliers durant 19 jours. Le second, avec qui nous échangerons par VHF une bonne demi-heure en plein milieu de nulle part, navigue seul sur un Wauquiez plus moderne que le notre. Il nous encourage à utiliser le tangon non pas devant les bas-haubans mais entre ceux-ci. 

Schéma avec notre tangon
Nous n'avions pas osé le faire, car l'on avait peur de les abimer (ce sont les haubans qui tiennent le mât...). La manoeuvre est plus compliquée, car l'espace entre les haubans est étroit, et il faut entrer un tangon de 5m sans avoir oublié de fixer préalablement tous les cordages. Le tangon une fois positionné, les fixations se retrouvent 5m en dehors du bateau, donc inaccessibles. 

Le résultat est bien meilleur que nos autres configurations : le génois est alors entièrement ouvert et développe toute sa puissance. Nous gagnons en direction par rapport au gennaker car l'on peut se rapprocher du vent arrière à quasi 170° soit 20° de mieux que le gennaker.
Ce que l'on aurait aimé

On regrettera de ne pas avoir un tangon encore plus long, cela aurait permis d'avoir un angle encore plus ouvert. A retenir donc, si vous changer vos voiles comme nous l'avons fait avant le départ, penser à calculer un nouveau tangon pour le vent au portant. Vous gagnerez en cap et en stabilité.

Jusqu'à la fin du voyage, nous avons utilisé cette nouvelle configuration. La seule difficulté que cela entraine apparaît lors du changement de bord. Il faut défaire le tangon pour le passer sur l'autre coté, donc refaire toutes les attaches. Le tangon est bridé vers l'avant, l'arrière et le bas. C'est pourquoi nous tirerons des bords sur une journée avant de changer de bord le jour suivant.
Autre avantage de cette configuration, en cas de survente, le génois n'est pas attaché au tangon : l'écoute ne fait que passer au bout du tangon, on peut donc réduire la voile normalement et rapidement sans toucher aux réglages du tangon.

Les novices que nous sommes avons levé cependant un loup : si la chaussette frotte sur le pont, elle accroche les taquets et autres aspérités. Résultat : il nous faudra recoudre les chaussettes des 2 voiles. Nous nous relaierons pour la couture manuelle car l'on ne peut utiliser notre machine à coudre : le pied de biche n'est pas assez haut pour laisser passer l'épais plastique de l'anneau du bas de la chaussette.


Réparation de la chaussette


Couture de la chaussette de gennaker
et lessive de bord en même temps
= cockpit romano


Gennaker sur tribord vue depuis l'arrière de la capote
Opération de pêche : comment remonter la prise ?
Le temps est long, long et monotone. Certes il fait beau, la navigation est calme, mais il faut occuper les troupes pour garder un bon moral. Première activité : la pêche. Elle sera plus difficile à partir du milieu du voyage, car des bandes de Sargasses viendront se prendre dans notre ligne.

Première prise : une dorade coryphène

Harnais de sécurité et gilet sur le pont arrière : cela secoue il faut donc s'attacher même pour pêcher

L'hameçon se prend  dans l'épuisette,
galère pour dégager le poisson

Seconde prise : un Baliste
Baliste Capriscus, notre deuxième prise


Sa chair est ferme et gouteuse, il faut néanmoins fileter le poissons pour éviter la cuisson de la peau et de la tête qui donne un mauvais gout. C'est très difficile à cause de l'épaisseur de la peau. Comme nous avions un doute sur la bête (son aiguille dorsale est vraiment impressionnante et semble dangereuse), et que la chaire est vraiment dure à découper, nous jetterons à la mer cette belle prise.


Premier pain façonné par Bartosz
une belle réussite









Autre activité : la fabrication du pain. On en fera un tous les jours, chacun son tour. Outre les jeux de sociétés que l'on avait apportés, nous utiliserons aussi les liseuses électroniques. Patricia lira quasi un live par jour, un record.

Spectacle du soir dont on ne se lasse pas

Premier pain réalisé par Alain

Le plus beau pain, c'est Bartosz qui le réussi
Bien levé, aéré et bien cuit, bravo !

Nous avions aussi prévu une activité à mi-parcours : faire l'inventaire des stocks de vivre et d'eau. Cela nous a permis de repenser nos repas (ajuster en fonction des produits frais restants), et de pouvoir se "lâcher" sur l'utilisation de l'eau. En 10 jours, nous avions consommé 200 litres d'eau. Donc pas de restriction sur la seconde partie du voyage, il restait 500 litres.

Nous avons mangé des produits frais jusqu'au bout, la palme revenant aux pommes, citrons et oignons. L'activité cuisine a pris peu à peu plus d'importance au fil du temps. Elle permettait de partager tous ensemble des moments agréables et de faire découvrir à notre équipier polonais des plats typiques français. Les bons petits plats réalisés durant le voyage participent aussi au moral des troupes, il ne faut pas l'oublier :)

Pour les produits laitiers, nous avons découvert à Mindelo des yaourts longue conservation. On les mettait au frigo avant de les manger afin d'avoir un semblant de goût habituel. Ils ne sont pas mauvais, mais la texture est plus pâteuse. Nous en avons mangé jusqu'au dernier jour car il y en avait une soixantaine d'embarqués...

Astuce pour les poubelles : nous avons utilisé les bonbonnes de 8 litres d'eau. Une fois vide, on remplit la bonbonne avec tous les déchets non biodégradables (comme les pots de yaourt pliés, l'aluminium, les bouteilles de jus de fruit...). On remet le bouchon et on replace la bonbonne à sa place : avantage : pas d'odeur ni de sacs poubelles qui encombrent les coursives. A l'arrivée, le déstockage des poubelles est facilité même en annexe car les bouteilles sont solides.


Arrivée au Marin, Martinique
La récompense : plage de sable fin et cocotiers

Un petit bout du paradis



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