samedi 1 octobre 2022

Batteries Lithium

L'énergie à bord

En voilier, et plus particulièrement en grand voyage, l'énergie à bord est un sujet majeur au même titre que la sécurité en mer, l'eau potable ou la météo.

Cette énergie se trouve sous différentes formes, elle est issue du gaz, du gasoil, de l'essence, des batteries, du soleil, du vent ou même du courant marin.

On a ainsi rencontré à Mahon (îles Baléares), un voilier anglais qui utilisait des piles fonctionnant au méthanol, à recharger tous les 6 mois (non sans difficulté à faire venir le carburant). Une autre rencontre utilisait les réchauds à essence sous pression pour cuisiner au lieu du gaz (ce que j'ai pratiqué couramment en expédition terrestre), et un autre utilisait des plaques de cuisson électriques très énergivores.

Tous les voiliers rencontrés ont à bord un parc de batteries conséquent. Ils ont donc du à un moment ou à un autre s'atteler au sujet, car les batteries ont une durée de vie d'autant plus courte qu'elles sont utilisées intensément ou par forte chaleur. Ainsi nous avons eu la surprise de lire sur le mode d'emploi constructeur, que nos batteries AGM sensées fonctionner 7 ans, avaient en fait une durée de vie divisée par deux si la température ambiante d'utilisation était de 30° C (comme bien souvent sous les tropiques...).

Quelles batteries ?

En Haut une batterie AGM de service
En bas une batterie moteur classique


Le parc "standard" sur un voilier est un parc scindé en deux : une partie en décharge lente pour le service (souvent technologie AGM ou Gel), et une partie avec forte capacité pour le démarrage des moteurs (type batterie de voiture).


Sur Unavoq II, nous savions lors de l'achat que les batteries AGM étaient en fin de vie. Elles tenaient difficilement la nuit avec juste un réfrigérateur branché alors que le parc avait une capacité totale de 480 Ah, donc environ 240 Ah utilisable.  Le frigo consomme environ 4-5 A, soit 60 Ah la nuit. Quand une batterie ne "tient" plus, la tension chute lors d'une faible utilisation puis elle remonte quand elle n'est plus utilisée (la tension fait le yoyo). Dans ce cas le frigo n'arrête pas de redémarrer car il se coupe si la tension passe en dessous d'un seuil  (environ 11,50 V)

L'étude que nous avons menée a consisté à comparer d'une part les coûts d'un nouveau système et d'autre part l'opportunité de profiter de nouvelles technologies. Avant notre départ de France en 2018, le devis pour l'achat d'un parc de batterie lithium était de plus de 5 000 €, sans compter les modifications à faire sur le réseau électrique.  Pour 1 300 €, nous avions alors simplement changé nos AGM.

Pourquoi essayer de changer de technologie ? Car les batteries au plomb (que ce soit AGM, Gel, voiture) ont 2 contraintes :

Cellules Lithium de 3,2 V

- on ne peut utiliser que 50 % de leur capacité, sinon elles s'abîment rapidement
- on ne peut pas les utiliser longtemps par forte chaleur sous les tropiques (durée de vie divisée par 2 !)

Elles sont aussi très lourdes (plus du double du poids des batteries lithium), et encombrantes (deux fois plus grosses). On parle de 150 kg de batterie pour un parc de 480 Ah quand même.

Pourquoi changer de technologie ? Car les batteries au lithium acceptent toute l'énergie que vous lui donnez. Si vos panneaux solaires fournissent 60 A, pas de souci, alors que les batteries issues de la technologie "plomb" seront limitées (20 A pour notre ancien parc). C'est un atout non négligeable de pouvoir recharger les batteries rapidement, car il n'y a pas besoin de soleil toute la journée !

Quand nous avons traversé le Pacifiques, nous devions faire tourner le générateur tous les 4 jours faute d'avoir assez de soleil. Pendant les 15 premiers jours, nous n'avons jamais eu de journée complète de soleil. On avait alors des AGM.

Durant la recherche de nouvelles technologies, nous avons vite écarté les batteries lithium ion classique (conception datant de 1991) : beaucoup de rappels constructeur, des incendies, des explosions ont été rapportées avec ce type de batterie.

Une autre technologie apparue plus "récemment" (en 1996) concernent les batteries lithium LiFePo4 (Ferro Phosphate). Les retours des utilisateurs nous ont semblé bon et sécurisant (notamment les tests de perçage, incendie et surtension).

D'autres technologies existent (cet article est de septembre 2022), mais ne sont pas disponibles pour le commun des mortels que nous sommes, et / ou ne sont pas produites industriellement. 

La quasi totalité des batteries provenant de Chine, nous avons contacté directement les usines de fabrication par Internet et proposé un achat groupé aux voiliers de Polynésie par le bouche à oreille et Face de bouc :)

Patricia réceptionne la palette chez le transitaire

Le coût de transport était de 1 300 € (forfait minimum de 2 palettes), plus environ 900 € de frais de paiement (Dollar / Paypal) et de transitaire, pour un montant total de 15 000 € de commande et 22 batteries.
Résultat : 7 personnes, on divise donc par 7 les frais !
Coût unitaire de la batterie de 300 Ah : environ 720 €

A la louche, pour 1400 € on a eu un parc de 600 Ah en lithium LiFePo, soit quasi le prix d'un parc AGM de 500 Ah. Il devient donc intéressant de se grouper pour profiter de la technologie Lithium.


Ce qui change dans le réseau


Une cellule de 3,2 V
Tout d'abord, il y a 2 types de batteries LiFePo : celles que vous achetez toute faites, et celles que vous montez vous-même. 

En effet, l'avantage du lithium est sa conception modulaire. Elle est fabriquée à partir de cellules de 3,2 V qui font 5 kg (pour les 300 Ah). Vous pouvez donc lui donner la forme que vous voulez. 

Le premier changement est l'introduction d'un BMS.

Le constructeur recommande fortement l'utilisation d'un BMS (Batterie Management System), carte électronique qui contrôle l'équilibrage des cellules de la batterie. En cas de surtension, chute de température, température trop élevée, demande trop forte de charge / décharge, le BMS isole la batterie. C'est donc un organe de sécurité et de maintenance.


Réception d'une carte BMS 

Le BMS est intégré dans les batteries "toute faite", mais pas quand vous commandez des cellules. Souvent l'usine qui fabrique les cellules (industrie chimique) ne fabrique pas les BMS (industrie électronique). Il faut alors bien connaître ce que l'on veut construire pour commander les bons BMS. C'est le BMS qui limitera l'utilisation de la batterie, il faut donc bien le dimensionner.

Pour notre part, j'avais besoin de 600 Ah en 12 V, répartis sur 2 batteries (par sécurité et pour éviter un black out), avec charge de 100 A max et décharge de 200 A max. J'ai donc commandé 2 BMS avec ces paramètres : un par batterie. Nous avons aussi demandé des BMS possédant le Bluetooth afin de facilement tout voir sur téléphone. Enfin l'avantage de construire soit même sa batterie : j'ai aussi commandé un BMS de secours et une cellule de secours. Ne pas oublier que le BMS est un circuit électronique, donc sujet aux pannes...

Nota : tous les BMS ne font pas l'équilibrage de cellules, c'est une option intéressante que je recommande fortement, elle est appelée "Load Balancing"

Isoler chaque batterie :

BMS connecté seul à la batterie pour équilibrage des cellules

Contrôle des 4 cellules

Le premier principe est d'isoler les batteries avant de les intégrer au réseau afin que chaque cellule soit équilibrée. 0,01 V d'écart est tout à fait tolérable.

Le second principe est d'isoler chaque batterie au sein même du réseau. Noter que le moins est commun Avant le BMS, et le plus commun Après les disjoncteurs.
Si un BMS coupe le courant, vous pouvez alors disjoncter la batterie et isoler totalement la batterie du réseau.




Monitorer la tension :

Le fait d'ajouter des connections / disjoncteurs, modifie la tension de votre circuit. Par exemple, entre le chargeur solaire et nos batteries, nous avons 0,3 V de différence mesurée. Il est important que les chargeurs puissent voir la "vraie" tension, celles aux bornes de la batterie, sinon le circuit de charge ne peut pas être paramétré correctement. 

Exemple de sonde de tension
avec bluetooth

Par exemple, dans un premier temps j'avais augmenté de 0,3 V la tension du chargeur solaire. Ça ne fonctionnait pas, car si le courant est fort (comprenez l'intensité), la différence de tension augmente aussi. Il faut donc un voltmètre au niveau des batteries qui indique au chargeur qu'elle est la tension réelle. Le voltmètre doit communiquer (par fil ou par bluetooth) avec le chargeur. Bien vérifier que les chargeurs puissent communiquer.




Modifier le chargement par l'alternateur :

Comme les batteries lithium absorbent toute l'énergie donnée, il est nécéssaire de prendre des précautions au niveau des alternateurs moteur. Un alternateur standard de 70 A, ne peut pas fournir cette intensité durant des heures s'il n'est pas refroidi. Le risque est que l'électronique ou les bobines de cuivre fondent...
Il faut donc modifier ce système. Plusieurs choix sont possible :

- Changer pour des alternateurs refroidis (compter 1 500 € pièce), matériel complexe donc on rajoute du compliqué....
- Débrancher le câble qui relie le répartiteur aux batteries lithium, afin que les alternateurs ne rechargent plus que les batteries moteur. Comme nous voulions quand même profiter de l'énergie moteur pour recharger les batteries lithium (ceinture, bretelles et parachute...), nous avons installé un petit chargeur DC-DC entre les batteries moteur et les batteries lithium. Il se déclenche automatiquement si la tension de la batterie moteur dépasse un certain seuil. Inconvénient, il est limité à 30 A et coûte 200 €.


Protéger les BMS

Les 2 BMS et 8 cellules lithium
En bas les batteries moteur


Les BMS protégés dans une boite "maison" en Komacel
Le bornier négatif est dessus

Bilan

De notre expérience je retiendrai :
  • Le changement de technologie est un projet complet qui demande à bien connaître ses besoins et son réseau électrique.
  • Le coût des batteries lithium devient abordable et cette technologie a bien des avantages :
    • poids du parc divisé par 2
    • volume du parc divisé par 2
    • déplacement et manipulation du parc facilité (module de 5 kg versus batteries de 35 kg)
    • puissance du parc utilisable de quasi 90 % (versus 50 % pour des AGM)
    • tension du parc quasi toujours au dessus de 13,2 V (très peu de variation de tension)
    • chargement beaucoup plus rapide
  • Coût global du projet pour un parc de 620 AH : environ 2 000 €, en ayant tout réalisé nous même
  • Un sujet passionnant, où l'on apprend beaucoup. Pour toute la partie purement technique, nous avons fait confiance au constructeur et suivi ses préconisations.
  • Les inconvénients constatés :
    • L'import de batteries lithium prend du temps et nécessite de l'organisation. Par exemple il a été compliqué de payer 15 000 €, l'usine chinoise exigeant différents modes de paiement. Nous avons du payer en 3 fois, par Paypal / Visa / virement bancaire. Le projet a duré 6 mois entre le moment des devis et l'installation opérationnelle à bord.
    • Nous avions sous estimé le travail d'installation des cellules : il a nécessité une journée de soudure tant il y avait de cosses à sertir /souder (une cinquantaine pour 2 batteries !)
    • Nous avions sous estimé le coût matériel d'installation des cellules : achat de 50 cosses et une vingtaine de câbles, chargeur DC-DC, disjoncteurs, bornier, sonde de tension... cela chiffre vite.
    • Les 8 câbles de chaque BMS doivent avoir la même longueur, et les 2 batteries doivent avoir la même conception de câblage.   
    • Les batteries LiFePo ne sont pas rechargeables en dessous de 0°C. Exit donc les voiliers qui vont aux Pôles, sauf à bien chauffer le compartiment batterie.

Schéma de référence :


Tous les câbles de connexion pour un BMS

Schéma du réseau avec les modifications en vert










4 commentaires:

  1. Très bon dossier bien intéressant. Bravo et merci.

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  2. Bonjour Aymd et merci pour ce partage !
    Deux ans plus tard, le coût des batteries lithium a encore baissé et va continuer à baisser : la transition au lithium est donc de plus en plus tentante.
    Sur le Voyage 12.50 de Jeanneau, les batteries de servitude (env.400 Ah / 200 Ah utiles) sont dans une position triplement aberrante : sous le pont, (directement exposées au rayonnement du pont au soleil, soit un réduction de plus de 50 % de leur durée de vie) directement sous le siège barreur tribord (1m50 au-dessus du fond de cale), au-dessus du pied des couchettes (complètement à l'AR).
    Comme certains autres propriétaires du même modèle, je vais les passer à l'intérieur, dans un coffre du carré, au-dessus de la quille.
    Dans un premier temps, j'ai pensé à y transférer deux batteries Pb Gel ou AGM de 200 Ah, mais leur poids (65 kg pièce !) et leur volume m'ont dissuadé. L'idée de passer sur une seule batterie lithium (par exemple une seule Victron 330 Ah / 300 Ah utiles / 30 kg) a donc fait son chemin.
    Deux ans après votre propre passage au lithium, quel est votre bilan ?
    Avez-vous des conseils à nous passer ?
    Merci d'avance !

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    1. Bonjour,
      Avec le recul, je referai le même choix. Les temps de charge sont vraiment impressionnant, et ces batteries ont toujours de la puissance car la tension est quasi toujours au dessus de 13 v. En AGM, on avait souvent moins de 13 v, et cela s'entend dans les moteurs électriques type broyeur WC.
      Le bilan est donc positif, et pour le moment pas de déboire si ce n'est qu'il faut mettre un capteur de tension au niveau des batteries pour que la bonne tension soit transmis au chargeur. En effet, il faut pouvoir isoler les batteries, et donc cela rajoute un disjoncteur dans le circuit, donc un petite perte de tension (qui augmente plus le courant passant augmente).
      Au niveau architecture, je vous conseille plutôt de mettre 2 batteries de 150 Ah, plutôt qu'une de 300, car c'est du tout ou rien avec le lithium. Si le BMS coupe une batterie pour une raison x ou y (défaillance électronique par exemple), vous n'aurez plus rien. Par contre les cables doivent impérativement être de même longueur pour les connecter au chargeur et aux BMS si BMS externe.
      Le BMS externe peut être un plus en grand voyage car vous pouvez lors le changer ou l'enlever temporairement.
      Bien à vous,
      Alain

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